dimanche, décembre 15, 2013

Keith Richards, la Creativité et l'Art de l'Observation



Dans toute discipline créative, le succès commercial est à double tranchant : d'un côté, cela active le "winner effect", le phénomène psychologique très bien étudié et documenté dans lequel le succès engendre encore plus de succès, ou comme Michal Lewis l'a dit "Le succès commercial rend [les choses plus faciles], et il crée également une pression pour être plus qu'un succès commercial"; de l'autre côté, il fait pencher la balance de la productivité dans un sens défavorable, catalysant la contrainte de produire encore plus de travail afin de maintenir le succès déjà atteint et gagner plus, empêchant l'artiste de réellement profiter de son succès.


Concilier ces forces opposées et trouver en eux le carburant nécessaire à la créativité, plutôt que des fumées étouffantes est toujours un des plus grands défis de l'artiste et des tâches les plus importantes. L'icône du rock et compositeur légendaire Keith Richards des Rolling Stones, né il y a 70 ans aujourd'hui, articule cela magnifiquement dans un passage de ses mémoires, "Life" :

 
"Un hit en requiert un autre, très rapidement, sinon vous commencez rapidement à perdre de l'altitude. A cette époque, on ne s'y attendait pas. 'Satisfaction' est soudainement numéro 1 partout dans le monde, et Mick et moi on se regarde en se disant "C'est bon on est pénards". Et puis, bang bang bang, on frappe à la porte, "Où sont les suivants? On en a besoin dans 4 semaines". Et nous étions en tournée, avec 2 représentations par jour. Vous devez faire un nouveau single tous les 2 mois, plus un autre près à être enregistré. Et vous avez besoin d'un nouveau son. Si on s'était pointé avec un autre riff fuzz après 'Satisfaction', le groupe serait mort, à cause de la loi des rendements décroissants. Beaucoup de groupes ont échoué à cause de cet obstacle. "Get Off of My Cloud" était une réaction aux demandes des maisons de disque et une tentative dans une autre direction, musicalement parlant. Et ça a marché.
Donc, nous somme une usine à musique. On commençais à penser comme les auteurs-compositeurs, et une fois que vous avez cette habitude, elle reste avec vous toute votre vie.  Cela travaille dans votre subconscient, dans la façon dont vous écoutez. Nos musiques prenaient une sorte de relief au niveau des paroles, au du moins, cela commençait à à ressembler à l'image que l'on nous donnait. Cyniques, méchants, sceptiques, grossiers. Nous avions l'air d'être en avance dans ce domaine à l'époque. Il y avait des problèmes en Amérique; tous ces jeunes enfants américains, ils ont été envoyés au Vietnam. C'est pourquoi vous avez "Satisfaction" dans Apocalypse Now. Parce que les cinglés nous ont pris avec eux."

Et pourtant, de cette pression commerciale est née la particularité culturelle singulière des Stones :

"Les paroles et l'atmosphère des chansons correspondaient au désenchantement vécu par ces jeunes américains lors de leur rencontre avec le monde des adultes, et pendant un moment, il a semblé que nous étions les seuls à leur fournisseurs d'une bande son de la rébellion grondante, liée à ces problèmes sociaux. Je ne dirais pas que nous étions les premiers, mais beaucoup de cet état d'esprit avait un idiome anglais, à travers nos chansons, malgré qu'elles soient très influencées par la culture américaine. Nous avons pissés sur l'ancienne tradition anglaise."
Mais le plus grand avantage de cette production au rythme rapide, c'est que cela a déclenché une sorte de cercle vertueux de la créativité, mettant Richards dans un état ressemblant à une transe créative, dans laquelle il a inconsciement maîtrisé l'art de l'observation et était soudain plus attentif au monde qui l'entourait et mieux en mesure d'en tirer la matière première pour l'écriture de ses chansons - en d'autres termes, il a peaufiné sa créativité combinatoire ou ce que Einstein a appelé «jeu combinatoire». Richards écrit:  

"Parce que vous avez joué tous les jours, parfois deux ou trois spectacles par jour, les idées affluent. Une chose nourrit l'autre. Vous pourriez avoir prendre un bain ou regarder la télé, mais quelque part dans votre esprit, vous pensez à cette séquence d'accords ou quelque chose lié à une chanson. Peu importe ce qui se passe. Vous pourriez vous faire tirer dessus, et vous seriez toujours entrain de dire "Oh! J'ai trouvé le riff !" Et il n'y a rien que vous puissiez y faire! Vous ne réalisez pas que ça se passe. C'est totalement subconscient, inconscient ou je ne sais quoi. Le moteur est allumé, ​​que vous le sachiez ou non. Vous ne pouvez pas l'éteindre. Vous entendez ce bout de conversation de l'autre côté de la pièce, "je ne peux plus te supporter" ... C'est une chanson. ça coule de source. Et aussi ... pour nourrir votre imagination, vous commencez à devenir un observateur, vous commencez à vous éloigner. Vous êtes constamment sur ​​le qui-vive. Cette faculté s'est formée en vous au fil des ans, observer les gens, comment ils réagissent les uns aux autres. Ce qui, en quelque sorte, qui vous rend étrangement lointain. Vous ne devriez pas vraiment vous comporter comme ça. C'est un peu être Peeping Tom d'être un auteur-compositeur. Vous commencez à regarder autour, et tout devient le sujet d'une chanson. La phrase banale, celui qui la dit. Et vous vous dites, je ne peux pas croire que personne n'a pensé à ça avant!"

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